Femme Burundaise

Droits de la Femme au Burundi : Leurre ou réalité ?

Les textes d’appui aux droits et à l’épanouissement de la Femme sont légion. On s’attendrait dès lors à des résultats plus tangibles. Mais il n’en est rien. Serions-nous comme un magasin arborant des mannequins super bien vêtus, alors qu’en réalité il ne vend que de la friperie ?

Une Journée Internationale. Et puis après ?

Nous sommes le 8 Mars 2017. Journée Internationale de la Femme. Partout, c’est fête ou réflexions. Je vais me joindre à ceux qui s’interrogent car une question me tarabiscote : si la journée dont il est question a été instaurée pour célébrer le pas déjà franchi par les femmes dans la lutte pour leurs droits, et focaliser dessus l’attention des états pour qu’il n y ait pas de retour en arrière, à l’heure d’aujourd’hui, cette journée a-t-elle une raison d’être au Burundi ?

Loin de moi l’idée d’un quelconque négativisme. Il doit, sans aucun doute, y avoir quelques femmes qui ont des raisons de fêter. Mais « la Femme »  en a-t-elle réellement?

 

Vingt-cinq ans déjà    

 

Le 8 janvier 1992, le Burundi a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Presque dix ans plus tard, le 13 novembre 2001, il a signé le Protocole facultatif à ladite convention. Deux ans après, le 3 décembre 2003,  le Burundi a signé la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples mais pas son Protocole relatif aux droits des femmes. En mars 2005 le pays a adopté une Constitution garantissant, en son article 13, le principe d’égalité entre femmes et hommes. Et encore, en avril 2009, un nouveau Code pénal a été adopté pour « renforcer la répression des violences sexuelles, des violences domestiques et du harcèlement sexuel » (art. 560) et « interdire la polygamie » (art. 530).

Ce ne sont donc pas les textes d’appui aux droits et à l’épanouissement de la Femme qui font défaut. On s’attendrait dès lors à des résultats plus tangibles. Mais il n’en est rien. Le hic, c’est que ces droits sont reconnus dans des textes globaux, qui contribuent sans doute à donner bonne conscience à ceux qui les ont signés, sans être effectivement intégrés  dans des lois de mise en application. Comme un magasin arborant des mannequins super bien vêtus, alors qu’en réalité il ne vend que de la friperie.

Si nous prenons comme point de départ ce 8 janvier 1992, quel pas la femme burundaise a-t-elle déjà franchi ? Et dans quel sens ? En vingt-cinq ans, a-t-elle avancé ou reculé ? A-t-elle fait du sur place ? Vingt-cinq ans, c’est un bail. C’est plus que l’âge de la majorité dans toutes les juridictions du monde. Quel bilan peut-on dresser quant à l’état des lieux des droits de la Femme ?

 

Mais de quels droits parle-t-on au juste ?

 

Pour commencer, penchons-nous juste sur le plus fondamental de tous les droits, celui sans lequel aucun autre droit n’existe : le droit à la vie et à l’intégrité physique.

Alors que dans la culture burundaise les femmes, les enfants, les personnes âgées et tout autre vulnérable étaient tenus loin des combats que se livraient les chefferies ou les pays voisins, avec la guerre fratricide déclenchée en 1993, la violence s’est déchaînée sur toutes les couches de la population, avec  des atrocités particulières à l’endroit des femmes et des filles. En effet, pour elles, la mort semblait ne pas suffire. Il fallait passer par des viols et des mutilations qui soit aboutissaient à la mort, soit laissaient la victime marquée à vie. Des infirmités irrémédiables, des maladies sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées … ou le tout à la fois.

Mais vous allez me dire que c’est parce que c’était pendant la guerre, que la situation était ingérable, qu’il n y avait plus l’autorité pour stopper les dérives. Oui, mais la guerre est sensée avoir pris fin il y a plus de dix ans. Pourtant, des femmes continuent à mourir, à être violées, à subir des atrocités de toutes sortes. Dans un silence social complice. Est-ce à dire que la femme burundaise doit vivre dans un état de guerre permanent ?

On n’est pas en train de se leurrer. On sait que, même cachée, la violence domestique a toujours existé. « Ni ko zubakwa » (on fait avec), disent les plus âgées aux plus jeunes depuis la nuit des temps. Mais il y avait certaines balises, des limites à ne pas dépasser sous peine de se voir mis au ban de la société. Or dans un rapport récent d’un collectif d’Organisations des droits humains, on lit ceci :

 

« Nombreuses sont les formes de violences à l’égard des femmes et des filles au sein de la famille. Des traitements cruels, inhumains et dégradants, la transmission volontaire d’une maladie grave et incurable, le viol conjugal sous plusieurs formes, l’avortement forcé suite aux violences, le mariage forcé, la séquestration, les coups et blessures volontaires, simples et graves, l’expulsion du toit conjugal, l’enlèvement d’enfants en bas âge et des nourrissons, des voies de fait, des injures graves, la non représentation, l’abandon de famille, les manquements au devoir  d’assistance et d’entretien sont autant de violences que subissent les femmes burundaises. Les ménages constituent le principal foyer des violences ». Sans commentaire !

 

Il ne faut pas aller trop vite pour réclamer les droits des femmes !

 

Quelle femme osant élever la voix pour ses sœurs  n’a déjà entendu cent fois cette phrase ?  Aussi bien des hommes du pouvoir, de ceux du Clergé que du commun des mortels. Parler des droits de la femme gêne tout un chacun. Comme si, en souhaitant s’élever, cette dernière voulait révolutionner l’ordre établi. Et causer des catastrophes sociales.  Et, fidèle au principe d’attaquer pour mieux se défendre,  la meilleure stratégie tacitement adoptée est celle de culpabiliser la victime : La femme burundaise est ingrate. Elle n’est pas fichue de dire merci alors que :

  • La Constitution de 2005 lui accorde au moins 30 % des places au gouvernement et au parlement.
  • Un nouveau Code pénal répressif contre les violences sexuelles a été adopté
  • Le gouvernement, en 2006, a instauré la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes
  • Les filles, tout comme les garçons, ont droit à la scolarité primaire gratuite
  • La femme dispose d’un ministère spécifique depuis plus de trente ans
  • Le pays reconnaît l’implication et l’apport de la femme dans le développement

Mais  chacune de ces mesures porte en elle ses propres lacunes.

 

  • Les 30% des femmes, même s’ils leur donnent droit à une certaine visibilité, ne leur permettent pas de s’imposer dans un jeu démocratique.  Et puis, la participation politique des femmes ne se limitent pas au Gouvernement et aux Chambres. Pourquoi, même ces petits 30% ne se retrouvent pas dans la désignation des gouverneurs de provinces,  et dans les différentes administrations locales, plus proches de la population, où les femmes pourraient plus facilement impulser des changements ?
  • Le nouveau Code pénal ne garantit ni la poursuite, ni la condamnation des auteurs des violences sexuelles, encore moins si elles sont domestiques. Du coup, malgré l’adoption du nouveau Code pénal répressif, le taux des violences sexuelles ne baisse pas pour autant.
  • La gratuité des soins de santé pour les femmes n’empêche pas que le taux de mortalité maternelle reste élevé. L’intention de gratuité en soi est louable, mais les mesures d’accompagnement nécessaires font défaut : notamment en raison de manque d’infrastructures adéquates, de personnel soignant compétent et suffisant, d’informations judicieuses et du suivi pré et post natal de la femme.
  • Malgré l’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire pour tous en 2005, il existe des différences notoires de scolarisation entre les filles et les garçons. Aucune campagne de sensibilisation n’a été menée auprès des parents pour leur faire comprendre le bien-fondé pour les filles de fréquenter l’école tout comme leurs frères. Du coup, certains parents n’hésitent pas à garder leurs filles à la maison ou à leur faire arrêter l’école dès qu’ils ont besoin de leur main d’œuvre gratuite. Et puis, même pour celles qui persévèrent, que se passe-il après le primaire ? Comment sont opérées les orientations ?  Les disparités auxquelles on fait face au secondaire et à l’université parlent d’elles-mêmes.
  • C’est vrai qu’un ministère sensé s’occuper de la Femme et apporter des solutions à ses préoccupations spécifiques est là depuis les années 80. Mais fait-elle régulièrement l’évaluation de son action en la matière ? Loin de moi l’idée de lui lancer la pierre, même la plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a, dit-on. Qu’a-t-il à offrir ? Avec quels moyens ? Quelle est sa marge de manœuvre et son champ d’influences, quand même un document aussi fondamental pour la femme qu’est le Code des Personnes et de la Famille, révisée et soumise par lui, dort dans les tiroirs du Gouvernement depuis 9 ans déjà. Avons-nous des raisons d’espérer que la présence de ce ministère change concrètement quelque chose dans le statut de la femme ?
  • Enfin, que le pays reconnaisse l’implication et l’apport de la femme dans le développement, ce n’est que justice. Mais je qualifierai cela de justice sans équité. Car, comment peux-tu laisser pour compte quelqu’un sur qui tu comptes pour vivre ? Le Burundi vit à grande majorité de l’agriculture, laquelle est à plus de 80% entre les mains de la femme. Mais au vu de la situation économique plus que préoccupante dans laquelle se débat ladite femme, sans accès aux ressources foncières, donc non plus aux services bancaires, il y a lieu de s’interroger: quel budget et quelles stratégies de développement sont-ils orientés vers ce secteur vital ? Quelles études sont menées pour alléger le travail des femmes, pour que celles d’aujourd’hui ne soient pas idem avec celles d’avant l’indépendance ? Et cette femme formée, quel est son état sur le marché du travail ? Pourquoi se retrouve-t-elle prioritairement dans le secteur informel ? N’est-elle pas victime de discriminations liées à son état de femme ? Si oui, qu’est-ce qui est fait pour y mettre un terme ? Que se poser comme question lorsque tous les rapports d’experts, que le pays ne conteste pas, affirment que :

 

“La pauvreté se féminise au Burundi. La lutte contre la féminisation de la pauvreté doit être aujourd’hui au centre des débats pour que les politiques et les initiatives du genre annoncées pour relancer l’économie du pays ne passent pas à côté de la femme”.

 

 

Et la justice dans tout ça ?

 

Les droits des femmes au Burundi continuent à être tributaires  de la persistance de législations discriminatoires et contradictoires. La Constitution a beau reconnaître l’égalité de l’Homme et de la Femme, elle n’empêche que le vide juridique dans le domaine des successions, des régimes matrimoniaux et de libéralités laisse les mains libres au droit coutumier, reconnu par les autorités burundaises, lequel infantilise, spolie et vulnérabilise la femme. Mais cela ne semble pas être la première préoccupation du pouvoir. En effet, un projet de Code de la famille garantissant l’égalité de droit et de fait des femmes sur ces questions, en particulier dans les zones rurales, se trouve à l’étude par le gouvernement…  depuis 2008 !

On est donc confronté à ce paradoxe : bien que ce soit la femme rurale qui dans la plupart des cas travaille la terre et y consacre le gros de son temps et de son énergie, bien que tout le monde soit unanime pour reconnaître son rôle majeur dans le développement du pays, elle est purement et simplement exclue en ce qui concerne les droits à l’héritage et à la propriété foncière.

Face aux multiples violations de droits dont la femme est victime, la justice ne lui apporte que très rarement son soutien. Déjà que les procédures judiciaires sont longues et coûteuses, que la corruption s’invite à tous les échelons, les auteurs de violences ne sont que rarement inquiétés ou sont rapidement relâchés et reviennent menacer ou molester à nouveau leurs victimes. La femme hésite donc à recourir à la justice, surtout quand l’auteur des violences est un proche. Cela peut la stigmatiser sans pour autant lui apporter la moindre solution.

L’accès limité des femmes à l’éducation et au marché du travail accentue leur vulnérabilité vis-à-vis de la justice. Surtout que cette dernière, dans les juridictions de base, est souvent une affaire d’hommes. Pour peu que le sexisme s’en mêle…

 

Bref, à la question première, qui était de savoir si les droits de la femme au Burundi étaient un leurre ou une réalité, je viens juste d’amorcer la réflexion et je laisse le débat ouvert. De toute façon, ce champ de droits est si vaste que nul ne peut en faire complètement le tour. Donc, à vos compléments…